L’enjeu des droits fondamentaux

Eglise et débat politique : à propos de l´initiative sur l´expulsion des étrangers criminels

L’Eglise doit-elle user de stratégie «politique» lors d’une campagne de votations ? Telle est la question posée avec le vote sur l´expulsion des étrangers criminels. Les orientations que défend l´Eglise à partir de sa vision de la personne humaine ne se vérifient pas à travers leur popularité, ni par les résultats d’un sondage ou d’une votation.

Depuis le : „Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu“ (Mt 22, 21), la question de l’intervention de l’Eglise dans la politique s’est constamment posée. Le concile Vatican II fixe un cadre assez clair : «L´Eglise qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d´aucune manière avec la communauté politique et n´est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine. […] Il est juste qu´elle puisse partout et toujours […] porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l´exigent, […] » (GS 76)

Le critère de base est donc celui des droits fondamentaux liés à la dignité de la personne humaine. Pour les chrétiens, cette dignité s’enracine dans sa création à l’image et à la ressemblance de Dieu et dans son salut en Jésus-Christ. Elle ne dépend ni d’un consensus social, ni d’une concession de l’Etat, ni d’un processus démocratique. Dans ce sens, elle n’est pas soumise au critère d’un vote majoritaire.

 

Une voix régulièrement minorisée

Lorsqu’il s’agit de droits fondamentaux, l’Eglise ne peut donc ni s’abstenir ni «adapter» son discours, même si certains, à l’extérieur et à l’intérieur, préféreraient qu’elle reste dans sa sacristie.

C’est pourquoi, la voix de l’Eglise s’est régulièrement élevée en Suisse sur les thèmes de la bioéthique, de l’avortement, du droit des étrangers, de l’asile, de l’exportation d’armes, du travail du dimanche etc. Cette voix a été assez régulièrement minorisée en votation populaire. Elle ne doit pas pour autant se taire.

La voix de l’Eglise est certes celle des pasteurs, en particulier des évêques, mais c’est aussi celle des laïcs engagés dans le domaine politique, social et économique. La Commission nationale suisse Justice et Paix en est l’une des expressions. Elle peut agir de sa propre initiative et s’exprimer de manière indépendante.

 

Non à la discrimination

Dans le débat sur le renvoi des étrangers criminels, il est clair que des droits fondamentaux sont en jeu. Il est tout aussi clair que l’Eglise ne peut que s’opposer fermement aux dérives de l’initiative. L’idée même de la peine automatique est inacceptable. Les principes de non-discrimination, d’égalité devant la loi, de proportionnalité, le droit au mariage et à la famille sont à la base du vivre-ensemble. Ils ne peuvent pas être bafoués de la sorte.

Le contre-projet procède de la même logique, même s’il introduit quelques limites par rapport à l’initiative, en mentionnant le respect des droits fondamentaux, des principes de la Constitution et du droit international. On ne peut cependant pas l’approuver, tout en reconnaissant qu’il représente un moindre mal. Peut-on tolérer un moindre mal pour en éviter un plus grand ? Cette question éthiquement très disputée dépasse le cadre d’un tel article. On pourrait néanmoins suggérer un changement de perspective : plutôt qu’admettre le moindre mal, il faut en politique viser le «mieux possible».

Maurice Page, collaborateur scientifique Justice et Paix
Article paru dans La Vie Protestante nov. 2010