Journée des droits humains : les Églises suisses rappellent que la dignité humaine n’est pas négociable

Dans de nombreux domaines, le respect des droits humains ne va pas de soi : migration, mondialisation et commerce international, changement climatique, protection de l’environnement, début et fin de vie. La protection de la dignité n’a rien à voir avec la libre disposition de soi, bien au contraire : la dignité précède toujours l’autodétermination. L’être humain ne peut garantir lui-même sa dignité, c’est donc toujours la dignité d’autrui qu’il faut protéger. C’est la conviction que les Églises catholique romaine, catholique-chrétienne et protestantes de Suisse rappellent à l’occasion du 10 décembre, journée internationale des droits humains.

Entre faire et laisser-être

L’indisponibilité de la dignité humaine

Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ». Aussi mettrai-je mon orgueil bien plutôt dans mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ.
2 Corinthiens 12,9

La mondialisation et les développements techniques fulgurants mettent le monde à portée de main. Dans le « village planétaire », il ne se trouve plus guère de régions auxquelles on ne puisse accéder de partout. Chaque coin de la planète est visible d’un satellite ou d’un autre moyen de télécommunication et les biotechnologies permettent de pénétrer au cœur même de la vie. Presque plus rien n’échappe à l’observation, presque tout peut être expliqué par la science. Le besoin de ne rien laisser au hasard nous pousse à « désenchanter » notre univers, à nous désenchanter.

C’est du moins ainsi, dans les grandes lignes, que l’univers se présente aux habitants de l’hémisphère nord. Nous jouissons des acquis de la curiosité scientifique et technique. Non seulement notre espérance de vie s’allonge sans cesse mais notre qualité de vie progresse également. Cette évolution devient problématique dès lors qu’elle se fait au détriment d’autres personnes, empêchées d’accéder à une existence digne et prospère. C’est dans un contexte planétaire que les conditions de vie révèlent ce qu’elles ont de fragile puisque le lieu de naissance, l’origine et le milieu social déterminent à eux seuls de quel côté nous vivrons : côté soleil ou côté ombre ? Pour les plus démunis, cette prédisposition est particulièrement cruelle, parce qu’ils n’ont aucun moyen de l’influencer et d’agir sur leurs conditions de vie. Avec le changement climatique, les conditions extérieures de vie, dont on ne peut disposer, deviennent de plus en plus souvent une question de survie. Les sociétés de l’hémisphère nord − où règnent les technologies et l’aisance matérielle, où rien ou presque n’est laissé au hasard − n’expérimentent que très rarement le fait de ne pas pouvoir disposer de son propre environnement. L’exigence éthique d’indisponibilité y est généralement rejetée comme une entrave au progrès scientifique et technique et à l’activité économique. Ce pouvoir discrétionnaire a un prix. Ce prix est payé par celles et ceux qui sont forcés à l’indisponibilité, sous la forme pervertie de l’impuissance politique et économique : les victimes de violences et d’injustices flagrantes qui n’ont pas les moyens de se défendre contre les conséquences du changement climatique et qui sont privées de tout droit de participation aux décisions.

Cela vaut pour les personnes vivant dans les régions les plus pauvres du globe, les personnes en proie à la terreur, la violence et la corruption ; cela vaut aussi dans notre pays, pour les embryons et les fœtus auxquels un diagnostic prénatal prédit une vie avec un handicap. Car dans l’un comme dans l’autre cas, une partie de l’humanité s’arroge sans autre forme de procès le droit de décider de la vie d’une autre partie : les rassasiés décident du sort des affamés, les puissants de celui des faibles, les vivants disposent du destin de celles et ceux qui ne sont pas encore nés. Peut-être le temps n’est-il plus très éloigné où les personnes âgées devront justifier leur prétention à vivre dans notre société avec la même évidence et en y jouissant du même respect et des mêmes droits que ceux qui mènent une vie souveraine et productive, en termes économiques.

Les appels au respect de la dignité humaine ne suffisent pas. La pensée et de l’action doivent être fondamentalement réorientées. La disponibilité érigée en dogme dénie à la dignité la place qui lui revient dans le monde. Car la dignité renvoie précisément à ce qui doit pour toujours rester hors de portée de l’homme. L’obsession que tout est possible ne tolère pas l’idée de laisser une chose telle qu’elle est parce qu’il est bon qu’il en soit ainsi. La dignité de l’être humain et de la créature ne se construit pas, elle ne peut qu’être, et être admise comme telle. Elle ne peut être reconnue et protégée que si la sagesse du laisser-être brise la folie de la faisabilité.

L’être humain ne se satisfait pas de lui-même, cela le caractérise. L’homme moderne se donne donc pour ambition de s’améliorer dans tous les domaines. De ce constat, le christianisme en a tiré la conséquence inverse, en acceptant les mots que Dieu adresse à l’apôtre Paul : « Ma grâce te suffit ». Toute la dignité humaine est dans ces quelques mots : ma grâce te suffit, donc les dons de Dieu suffisent ! Les dons reçus par chaque être humain constituent sa dignité, et en tant que dons de Dieu, ils échappent à la libre disposition de l’homme. Les dons de Dieu n’ont que faire des perfectionnements humains. Ce qui paraît de prime abord comme une imperfection se révèlera justement, dans la perspective de Dieu, un bien, indisponible. La dignité ne qualifie pas ce qui a été fait, mais uniquement ce qui a été donné. L’attribution de la dignité à la créature ne nous invite pas à l’arranger à notre idée, mais à la protéger de l’outrage et du mépris. Car la fin de l’indisponibilité signerait la fin de la dignité.

La protection de la dignité n’a rien à voir avec la libre disposition de soi, au contraire : la dignité précède toujours l’autodétermination. L’être humain ne peut garantir lui-même sa dignité, c’est donc toujours la dignité d’autrui qu’il faut protéger. Il n’y a de protection de la dignité qu’universelle, lorsque les ressources de la terre sont équitablement partagées entre les tous membres de la famille humaine, lorsque toutes et tous opposent un front uni aux menaces et aux inquiétudes.

La dignité et le climat sont unanimes à ignorer les frontières tracées par l’homme. Dans la Bible, l’idée de dignité est rapportée à la notion de prochain, celle ou celui à qui l’on ne pose pas de question sur sa nationalité, son origine, sa foi ou son intégrité morale. Bien sûr, la parabole du Bon Samaritain concerne les personnes en détresse. Mais des personnes en détresse, notre logique de la faisabilité en « produit » tous les jours.

Berne et Fribourg, en décembre 2016

Information ACAT 2016 Pétition ACAT – 2016 Lettre d’accompagnement de la journée des droits de l’homme – 2016 Communiqué 2016