Internement à vie des délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables

Lettre ouverture à Monsieur le Conseiller fédéral Christoph Blocher

Monsieur le Conseiller fédéral,

La Commission nationale Justice et Paix, organe consultatif de la Conférence des Evêques suisses a pris acte de la décision populaire du 8 février 2004 d’introduire dans l’ordre juridique la réclusion à vie pour les auteurs de délits sexuels jugés dangereux. Certains commentateurs ont, au soir de la votation, souligné que la mise en œuvre de la décision du souverain pourrait contraindre la Suisse à dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) – ratifiée en 1974 – parce que le respect de l’article 5, § 4 ne pourrait plus être garanti.

La Commission Justice et Paix estime que la dénonciation de la CEDH constituerait un signal extrêmement négatif et tient à vous informer de son souci. Pour nous Chrétiennes et Chrétiens, les droits de l’homme appartiennent à tout être humain, qui peut s’en prévaloir du seul fait qu’elle ou il est un être humain, indépendamment de toute autre considération. Ils sont un acquis irremplaçable du 20ème siècle. Inaliénables, les droits humains ne peuvent pas dépendre de législations issues de décisions populaires. Certes, le respect des droits humains peut parfois restreindre le pouvoir des gouvernants puisque l’Etat, les dirigeants – en Suisse le souverain – ne peuvent pas tout se permettre et reconnaissent l’autorité d’une instance supérieure, et ce pour protéger les droits fondamentaux de chacun de nous.

En ratifiant la Convention européenne des droits de l’homme, la Suisse, comme tous les autres membres du Conseil de l’Europe, s’est engagée à adapter sa législation et à se soumettre à un contrôle international, en l’occurrence celui de la Cour européenne des droits de l’homme.

La Suisse mettrait sa crédibilité en jeu en dénonçant des engagements qu’elle avait pris et sur lesquels elle fonde en outre sa politique ; nous partageons à cet égard l’analyse de la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats pour qui « la défense et la promotion des droits humains constituent un volet majeur de la politique suisse tant nationale qu’internationale » (rapport du 9.9.2002). Nous en voulons pour preuve l’engagement d’un juge suisse à la présidence de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que d’un haut-fonctionnaire de votre département qui dirige un comité chargé d’élaborer des mesures de réformes de la Cour, victime de son succès. Cet engagement est d’ailleurs conforme à l’esprit de la Constitution adoptée le 18 avril 1999 par le peuple suisse et qui donne mission (art. 54) à la Confédération de contribuer à promouvoir le respect des droits de l’homme. Cette tâche ne peut en aucun cas se réduire à la promotion des droits humains à l’étranger !

Les valeurs défendues par la CEDH ont contribué à la création d’un espace de droits, de sécurité et de paix dont bénéficient des millions de personnes en Europe. Nous en appelons à votre responsabilité de conseiller fédéral, responsable de la Justice, pour préserver ce précieux héritage, héritage d’une génération qui a vécu dans une Europe dévastée par la deuxième guerre mondiale et qui a fait preuve d’un esprit visionnaire pour que le continent européen, dont la Suisse, ne connaisse plus une telle catastrophe. Nous vous prions donc de tout mettre en œuvre pour que les dispositions juridiques découlant de la votation du 8 février dernier restent compatibles avec les engagements de la Suisse en matière de droits humains.

En vous remerciant pour votre intérêt, nous vous prions, Monsieur le Conseiller fédéral, de bien vouloir agréer nos salutations les meilleures.

Justice et Paix
Sr Nadja Bühlmann
Présidente